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Requiem et renaissance - Metal Gear Solid V comme un nouveau départ
06/06/2016 à 14:00
par Flying_fox
Chapitre 1 : Race
La formulation du premier thème de MGSV peut paraître étrange : au-delà de l'aspect cru et provocateur du mot, il y a de quoi se demander s'il n'est pas délibérément ambigu. Aussi absurde que cela puisse paraître, « Race » pourrait bel et bien faire référence, tout du moins en partie, à... « La course ». Ce terme, qu'on retrouve dans la traduction française du jeu, n'est peut-être pas aussi malvenu qu'il en a l'air. La course contre le temps est loin d'être étrangère au game design de TPP, elle y occupe même une place essentielle. Les missions chronométrées sont nombreuses, d'une durée variable mais toujours porteuses d'un sentiment d'urgence. Celui-ci culmine dans l'une des séquences les plus étonnantes et traumatisantes du jeu : la première infection de la Mother Base. Le rythme qui est alors imposé au joueur est déstabilisant : on est censé prendre le temps de trouver la solution à un problème complexe, impliquant des éléments détaillés de micro-gestion, tout en progressant aussi vite que possible dans une vaste enquête de terrain, une sorte de marathon désordonné dont le principal objectif est de combler rapidement des pertes de plus en plus grandes. A un moment donné, on en vient même à courir après un prisonnier, lui-même en pleine escapade, afin qu'il nous donne le prochain indice de l'enquête. C'est la course, dans la course, dans la course. La situation n'est pas sans rappeler, avec une certaine ironie, celle d'un studio de développement tiraillé entre son travail méticuleux et des impératifs contextuels qui, lentement mais sûrement, portent atteinte à ses efforts présents, passés et futurs. Pour les membres de Kojima Productions, la gestation de MGSV s'est forcément apparentée à une course folle et le jeu porte les stigmates de cette expérience. A l'une ou l'autre étape du développement, le chronomètre pesait forcément sur le quotidien de la fine équipe de Kojima et c'est presque naturellement, inévitablement, que le joueur partage le même sort[1]. Le temps lui est compté. Et les différents personnages du jeu ne se privent pas de le lui rappeler, depuis le docteur chypriote jusqu'à Zero qui conclut amèrement, dans la dernière cassette audio, au chevet de Snake : « le temps presse »[2]. Quand un marathon se termine, un autre commence. Le chapitre 2, qui porte l'ambiguïté de « Race » dans son titre, est en grande partie – si on exclut les fameux épisodes recyclés – constitué de missions sournoisement chronométrées. A chaque fois, le compteur est invisible, mais la menace du temps est bien là : il faut récupérer avant l'ennemi tel agent infiltré, tel container dangereux, telle preuve gênante... Ce n'est pas non plus un hasard si les objectifs de ces missions consistent à réparer des dégâts ou éviter des dommages collatéraux qui découlent directement des actions du joueur dans le premier chapitre. Et que dire du mode FOB, où les aiguilles de l'horloge sont perpétuellement en mouvement, à tous les étages... Dans ces bases avancées, le temps est, de loin, l'élément le plus décisif : les assaillants jouent avant tout contre la montre, de même que les défenseurs lorsqu'ils cherchent à rejoindre leur base en péril. Une fois la partie terminée, l'heure tourne, encore et toujours : le blocus de la FOB n'est pas éternel, les soldats capturés doivent être récupérés rapidement, le tic-tac des représailles commence... Le joueur n'a pas de répit, mais il est moins tourmenté par ses adversaires que par l'impitoyable chronomètre qui continue toujours sa course, même quand la console est éteinte, même quand on abandonne le jeu. On n'a pas le choix, comme dit Kaz à l'issue de la bien-nommée mission 41, « Guerre sans fin par procuration » : pour survivre, « notre seule option est de combattre et croître... Et combattre... Et croître... ». La cadence avec laquelle il décrit cette stratégie sans avenir est celle d'un métronome au mouvement perpétuel. Survivre, c'était le quotidien de Kojima Productions pendant de nombreuses années. Ils l'ont fait aussi longtemps qu'ils le pouvaient. Remettre en doute leur zèle durant cette période troublée, les accuser de n'en avoir pas fait assez dans le délai imparti, c'est bien mal interpréter leur travail, leurs objectifs. C'est aussi faire abstraction du lien intime qu'ils ont voulu établir avec le joueur, à travers l'expérience d'une douleur partagée. Le calvaire de celui qui tient la manette, c'est la course à l'armement, la guerre pour la guerre qui, dans MGSV, devient peu à peu le seul et unique objectif en vue. C'est une vision extrêmement pessimiste du jeu vidéo que livre Kojima. Et, comme pour remuer le couteau dans la plaie, cette situation dépasse le cadre de la fiction lorsque la communauté des gamers est confrontée à la dure réalité de l'impossible démantèlement nucléaire. Quelle ironie : la course est bien réelle pour les artisans du désarmement... En effet, la meilleure technique pour voler une tête nucléaire est le sprint au petit bonheur la chance, en armure avec un bouclier sur le dos, en priant pour atteindre le seuil de la dernière plate-forme avant l'arrivée du défenseur. C'est une stratégie étonnamment viable dans le petit monde des FOB, mais tellement vaine : tout espoir de voir la fameuse cinématique finale, de la débloquer par nous-même, a été réduit à néant avec la mise à jour de décembre 2015. Celle-ci a fourni aux possesseurs de « nukes » de multiples jokers sur un plateau d'argent[3]. Désormais, à moins d'un changement radical des règles du jeu, la course au désarmement ne mènera nulle part : celui qui se fait subtiliser son ogive a tout le temps d'en reconstruire une, pendant que sa base est sécurisée par un blocus bien plus long que la normale. Nous sommes donc en présence d'un univers virtuel où la ressource la plus précieuse pour le joueur, le temps, est octroyée le plus généreusement aux fabricants d'armes de destruction massive. Leur avatar sanguinolent est la preuve de leur adaptation parfaite au système, à l'économie de guerre qui les protège. Ils sont semblables aux habitants de l'Océania de 1984, victimes consentantes d'une guerre interminable (et peut-être inexistante), ou aux prolétaires des Temps Modernes, symboliquement dévorés par une grande machine industrielle sous le regard impassible d'une horloge géante qui régit leur vie... Et leur mort. Dans le microcosme du jeu vidéo, les prédictions de Guns of the Patriots en 2008 étaient donc d'une précision effrayante. Il va sans dire que l'économie de guerre n'a aucun intérêt à résoudre le conflit qui l'anime[4]. Pas étonnant, dès lors, que les nouvelles règles du jeu visent ouvertement à ce que nous restions séparés de l'ultime fin de MGSV, à jamais perdus dans les limbes d'un Valhalla virtuel qui épuise notre énergie comme notre temps. Vous vouliez que TPP vous mette aux prises avec Outer Heaven, le seul, le vrai ? C'est chose faite. Et ce n'est pas beau à voir : une course sans fin, sur place, par appât du gain virtuel, au péril de tout le monde. Dans cet enfer, tôt ou tard, vos soldats de rang inférieur seront automatiquement licenciés au profit de ceux qui présentent de meilleures statistiques. Tôt ou tard, vos ressources et recrues durement acquises vous seront dérobées aléatoirement, même si vous ne vouliez de mal à personne. Tôt ou tard, vous crierez vengeance et deviendrez un démon « pour d'aussi petites armes »[5]. Et tôt ou tard, chacun de nous donnera sa vie pour Big Boss en perdant tout au passage, y compris le sens de la réalité, y compris notre identité. D'où l'autre sens du mot « race »...
L'identité est au cœur de MGSV, et le langage la définit. Cette logique, Kojima semble l'avoir en grande partie absorbée dans le travail d'un de ses plus proches amis, l'écrivain Project Itoh. C'est un juste retour des choses, puisque les romans d'Itoh sont eux-mêmes la prolongation des réflexions de Kojima. Harmony est la suite spirituelle de MGS4, où l'économie de guerre aurait été remplacée par une économie de vie, tout aussi dangereuse pour notre espèce. Genocidal Organ, quant à lui, est un roman d'espionnage ancré dans tous les fantasmes du genre mais surtout dans Metal Gear, à tel point qu'il semble parfois difficile de l'apprécier sans une bonne connaissance de la série (c'est-à-dire un goût prononcé pour les robots organiques et les souffrances existentielles des forces spéciales). L'histoire reprend la trame générale de MGS4 en y ajoutant des dimensions thématiques d'une originalité déconcertante et d'une obscurité extrême. Et c'est probablement là que Kojima est allé puiser la plupart de son inspiration pour la trame du premier chapitre de MGSV. Ou plutôt, Genocidal Organ a contaminé Kojima. On l'imagine sans peine sortir de la lecture de ce livre avec le sentiment de l'avoir écrit sans que ce soit le cas... Et avec la furieuse envie de rendre hommage à tant de génie, après avoir déjà dédié Peace Walker à Itoh, décédé en 2009. TPP est donc, en partie, l'œuvre posthume de Project Itoh. Après tout, ce dernier était souvent considéré comme l'héritier principal des mèmes de Kojima. La décision de terminer la saga sur une « page blanche » n'est certainement pas étrangère aux accomplissements de ce jeune fan qui a su rebondir sur MGS pour « écrire sa propre histoire », comme le dit Big Boss. On pourrait parler longtemps des liens qui unissent Genocidal Organ et MGSV mais leur terrain commun le plus évident est leur vision du langage. A la fois source d'extrême richesse et véhicule des pires abominations, il fait et défait les relations entre les êtres humains. Il nous définit[6] mais peut nous anéantir tout aussi facilement. Il constitue une arme de destruction massive, la plus redoutable au monde si une personne mal intentionnée trouve son détonateur : c'est justement ce que font Skull Face dans MGSV et son modèle John Paul dans Genocidal Organ. Tous deux trouvent une méthode d'armement du langage, qu'ils souhaitent utiliser afin de contrôler l'auto-destruction d'une partie du monde. Leurs motivations sont opposées (l'un considère les valeurs occidentales comme néfastes, l'autre les protège) mais leur méthode est la même : la purification par l'anéantissement. Les deux hommes sont également mus par un profond désir de vengeance qui leur vient d'une oppression passée. En effet, le langage, chez Itoh aussi bien que chez Kojima, est principalement une affaire d'oppression, de mensonge, de contrôle. A ce sujet, les prises de position du créateur de Metal Gear sont assez tranchées dans TPP. Peut-être étaient-ce ces considérations que Kojima jugeait, à une certaine époque, trop audacieuses ? Quoi qu'il en soit, personne, pas mêmes les principaux intéressés, n'y a vraiment prêté attention. On parle ici, bien entendu, de la critique ouverte de la position de supériorité de la langue anglaise, ainsi que des valeurs qu'elle véhicule. L'épitaphe du chapitre 1 est sans ambages : elle décrit bel et bien une menace, au même titre que celle de MGS1. Il en va de même pour plusieurs considérations de Code Talker, par exemple : « l'anglais est devenu une laisse que les gens portent volontiers autour du cou »[7]. Ou encore, cette déclaration de Miller : « l'anglais est bien établi dans plusieurs pays à travers le continent. Il a pris racine en Afrique comme du chiendent. Ou peut-être que « parasite » est un meilleur mot »[8]. Certes, ces phrases sont assassines. Mais par extension, toutes les langues ayant tôt ou tard dominé et supprimé d'autres formes de dialectes (et cultures) sont concernées. Il est inutile de ressortir les vieux dossiers (jamais avérés) de l'anti-américanisme et l'anglophobie de Kojima. Les statistiques actuelles de l'utilisation de l'anglais à travers le monde permettent simplement de servir le propos de TPP avec efficacité. Et si l'anglais se trouve dans la ligne de mire de Kojima, c'est peut-être tout simplement parce qu'il l'est aussi chez Itoh, où la « grammaire du génocide » n'épargne pas la lingua franca de notre époque, ni le principal pays qui la parle[9]. De plus, comme le montrent les événements et lieux historiques présentés dans le jeu, la méfiance n'est pas dirigée vers l'anglais exclusivement. Ni même vers le russe, le néerlandais ou n'importe quelle autre langue qui sort de nos cordes vocales. En effet – et c'est l'origine d'une immense déception chez les joueurs qui s'attendaient à un traitement terre-à-terre de l'ethnicité dans ce jeu – Kojima semble utiliser le thème « Race » comme une réflexion moins sur l'appartenance à une tribu (linguistique, ethnique, culturelle) que sur la loyauté personnelle envers un idéal. C'est donc la perte d'identité (de fidélité à soi-même) à travers toute forme d'oppression, et non seulement vocale, qui inquiète Kojima. Oppression et expression... Il sait de quoi il parle. A l'échelle de son travail, nul doute qu'il a souvent ressenti le poids exercé par le langage (du big business) sur son identité (d'artiste). Il sait, par l'expérience de sa profession, que les « parasites » latents qui habitent chacun d'entre nous, et nous permettent de nous exprimer, peuvent facilement être reprogrammés à notre désavantage, nous réduire à l'état de zombies au service d'un intérêt qui nous échappe. Tout ceci, sous l'impulsion injuste et arbitraire d'une personne qui possède une vision différente de la nôtre, et les moyens de la concrétiser. Le processus d'infection se déroule à notre insu, sans que nous devions changer fondamentalement la manière dont nous nous exprimons ; au contraire, c'est notre mode d'expression habituel qui est le moteur de l'infection, et la cause de notre perte. Notre identité n'est tout simplement plus compatible – plus en symbiose – avec les objectifs de la société de parasites qui nous dirige. Dans ce contexte, vouloir conserver ce qui nous définit revient à nous condamner nous-mêmes. Toute lutte contre le processus d'infection est au mieux temporairement utile, au pire contre-productive : la plupart des efforts des Diamond Dogs pour contrecarrer les plans de Skull Face se soldent, bien malgré eux, par une propagation toujours plus vaste et rapide des parasites. On peut même dire que Kaz et ses hommes deviennent, sans le savoir, les principaux complices des crimes qu'ils cherchent à empêcher (ils finiront par s'en rendre compte, trop tard). Seule solution : accepter qu'on nous inocule un anti-virus qui neutralise les parasites, au prix de notre fertilité (métaphore typique de la créativité). Nous pourrons alors retrouver notre expression mais elle sera devenue stérile, sans avenir car dénuée de son héritage aux générations futures. Le pire, c'est que cette auto-stérilisation n'est qu'une solution temporaire, comme le montre la mission 43 : des mutations de l'anti-virus pourront toujours avoir lieu et conduiront à une détresse encore plus grande, des responsabilités toujours plus écrasantes... Jusqu'à ce qu'on retourne nos armes contre nos amis, notre public. Tant que les parasites nous habiteront, ils représenteront une menace pour notre libre-arbitre, notre liberté d'expression, et donc notre identité (loyauté). La disparition du coupable, celui qui a modifié notre mode d'expression pour ses intérêts personnels, n'y changera rien. Le mal est fait, l'identité à jamais envenimée, volée. Comme le rappelle la fuite de Big Boss avec le passeport du joueur en main, c'est avec une partie de nous que Kojima et Metal Gear se font la malle. Dans la tête de l'auteur, où le passage de zéro à un, puis cent, est perçu comme un échec, il n'est pas étonnant que deux et deux fassent cinq. Par le biais de sa carrière de game designer, durant laquelle il se devait d'être à la fois loyal à son entreprise-mère, à son public et à lui-même, Kojima a certainement fait une expérience très concrète de la « doublepensée » de George Orwell : jongler simultanément avec plusieurs objectifs qui s'annulent, tenter de faire coïncider des réalités qu'on sait contradictoires. Quels enseignements en tire-t-il à propos de son identité ? Certainement, en premier lieu, qu'il est important de rester fidèle à soi-même au cœur de la tourmente. Peut-être à l'image d'Ocelot, qui « vit un mensonge » dans la mesure où il ne tolère pas d'autre réalité que celle qu'il s'est forgée[10] tout en étant conscient que cette réalité n'est pas absolue, car elle n'est pas partagée par tous. Au contraire, « Shalashaska » dispose d'autant d'identités que de personnes qui le connaissent. Mais il choisit sa vérité à lui, et balaie les autres en les qualifiant de fantômes (c'est d'autant plus absurde qu'il déclare plus tard à Huey, en le torturant, que la vérité est « objective »). Venom, de son côté, tente aussi de rester fidèle à lui-même, surtout quand l'ange et le démon se disputent son attention. En dépit de conditions d'oppression parfois extrêmes (après tout, il est, très littéralement, « conditionné »), il ne devient jamais vraiment Big Boss. Mais il ne redevient pas non plus l'homme qu'il était auparavant. Sa tragédie est de rester dans l'entre-deux, dans les limbes de sa propre identité. Il est à la fois oublié et adulé, médecin et meurtrier, marionnettiste et pantin. Il n'est ni Walter White, ni Heisenberg : il reste bloqué à jamais à un certain stade de la transformation. Il est devenu la somme de ses multiples avatars, qui apparaissent à chaque fois que son regard croise son propre reflet. Nul doute que Kojima, au carrefour de sa vie, éprouve des sensations similaires, tout comme le joueur devrait peut-être le faire aussi. Le seul endroit où Venom peut vraiment être lui-même, c'est dans l'ACC, ce havre de paix où, ironiquement, il prépare la guerre... Ce lieu symbolique où il a disposé de sa propre identité pour la dernière fois, au moment de son sacrifice. Il est possible que les initiales de cet « Aerial Command Center » signifient également « Anterior Cingulate Cortex », le nom donné à la partie du cerveau qui gère les fonctions cognitives : l'émotion et la compassion, par exemple, ainsi que la prise de décision, la perspective des récompenses, le contrôle des impulsions, la sensation de douleur[11]... Comme la chambre secrète de Winston dans 1984, l'ACC est l'endroit où Venom est le plus enclin à être lui-même mais aussi, paradoxalement, le tombeau de son identité. À travers le thème de l'identité, Kojima aborde enfin – et surtout – l'une des interrogations essentielles de MGS : la transmission culturelle. « Gare aux raccourcis », semble-t-il dire d'une manière générale. Par exemple, la lingua franca, en tant que pont culturel entre deux peuples, est favorable au commerce et à l'échange, mais elle constitue un interface moins authentique que la lente assimilation du langage d'autrui. A terme, seul cet effort d'apprentissage peut permettre à deux peuples de communiquer tout en conservant leurs singularités – et surtout en comprenant la singularité de l'autre. Le jeu vidéo est la lingua franca grâce à laquelle Kojima communique avec le joueur. Mais cet interface est également un raccourci, imparfait et inefficace : « si seulement nous partagions une langue commune », se lamente le créateur à travers Quiet. Cette déclaration ne fait évidemment pas référence à une langue vocale[12] : Quiet et Venom partagent parfaitement la compréhension de l'anglais. La langue commune dont il est question, c'est celle que Kojima estime ne jamais être parvenu à trouver pour communiquer avec le joueur. La disparition de Quiet est la « petite mort » des mèmes que Kojima a véhiculé à travers Metal Gear. Ils sont, dans MGSV, habilement représentés sous la forme d'un amour impossible[13]. Ils sont aussi symbolisés sous les traits d'une jeune femme qui, bien qu'elle s'expose entièrement aux autres, littéralement jusqu'aux os, reste incomprise. La réaction instinctive des Diamond Dogs est de l'emprisonner et la traiter comme une aberration, une étrangère potentiellement dangereuse qui bouleverse leurs petites habitudes de soldats. Il est possible de la neutraliser dès qu'on la rencontre, de choisir de ne pas s'encombrer avec elle... Ou alors, de s'en faire une alliée puissante, qui restera cependant un mystère, en dépit de toutes les explications scientifiques. Elle finira par s'échapper, au dernier moment, car elle se sera rendue compte de son incompatibilité avec Venom, l'avatar du joueur, pour qui elle se sacrifiera néanmoins, quand il sera mortellement blessé et perdu dans un désert opaque. TPP est la fin abrupte d'un vaste programme de transmission culturelle au sein duquel nous avons vécu des dizaines d'années. Ces mèmes ont fait partie de notre quotidien et ils resteront dans nos cœurs, bien après leur disparition. On peut courir après Kojima, suivre les traces de sa fuite dans le sable, on ne trouvera que la tombe de ses unités de transmission culturelle. Un mémorial discret sous la forme d'une petite bande magnétique perdue au milieu du désert. Une bouteille à la mer, un support analogique pas si différent de la galette numérique sur laquelle le jeu a été pressé[14]. Quant à l'avenir... Konami pourra, bien entendu, tenter de reproduire les mèmes de Kojima, de les faire renaître. Mais ce sera probablement de manière artificielle et maladroite comme, par exemple, demander au joueur de finir une mission sept fois de suite pour aboutir à une réunification illusoire et illogique avec l'enveloppe extérieure de ces mèmes. Comme le langage, l'identité chez Kojima est vivante et doit se transmettre à d'autres hôtes pour subsister. A nous de déterminer de quelle manière nous accueillons cette transmission : comme un pathogène séduisant mais dangereux, ou comme un héritage complexe mais potentiellement salvateur. A nous de déterminer notre propre identité. « Tu peux choisir. Ta vie, ton futur. »[15] Notre avenir n'est donc pas entre les mains de Kojima. Mais il nous donne la clé pour faire de nos langages – de nos identités multiples de Diamond Dogs – un outil de coopération plutôt que de domination. Les graines de ce concept avaient été plantées dans P.T. : le teaser jouable de Silent Hills invitait les joueurs à coopérer dans diverses langues pour résoudre des énigmes tortueuses. Nous étions amenés à concevoir l'inconnu comme une richesse salvatrice, la seule manière pour tout le monde de progresser. Il n'est donc pas étonnant que ce concept de coopération ait été envisagé pour venir à bout de l'autre grande expérimentation de Kojima : le démantèlement nucléaire de TPP. Depuis fin 2015, voyant que la force ne résoudrait rien, certains joueurs ont tenté de convaincre leurs semblables de démanteler leurs propres têtes nucléaires par le biais de messages privés sur le PlayStation Network. Plus d'une fois, la langue a posé problème et a contraint, par exemple, un anglophone à tenter sa chance en japonais. L'engouement pour cette méthode se poursuit timidement dans le cadre des efforts des communautés « anti-nucléaires »[16]. Il ne sera sans doute pas suffisant, quoi qu'il arrive. Mais qui sait... Si la scène finale du désarmement n'avait pas déjà été révélée, peut-être aurions-nous eu la motivation nécessaire à poursuivre cette grande co-op multilingue, d'une manière ou d'une autre. P.T. avait montré l'exemple en théorisant que, dans le long couloir sombre que forment nos aventures vidéoludiques de plus en plus interconnectées, les autres joueurs, « Homo Ludens », sont peut-être la seule lueur d'espoir. Lire la suite : Chapitre 2 : REVENGE
Notes : [1] La première solution offerte par Code Talker pour contrer l'infection est temporaire, un moyen de "gagner du temps", comme il le dit au cours de la mission 28. Comme le joueur, ce que Venom vient chercher auprès du scientifique, c'est avant tout un remède contre la course du temps. [2] Cassette "Enregistrement secret de Zero rendant visite à Snake" [3] A tel point qu'on peut s'interroger sur les motivations de Konami à rendre publics les décomptes d'armes nucléaires, en incitant les joueurs à « lutter » alors qu'il est évident que la stagnation est inévitable. [4] Voir cassette n°4 du recueil "L'Afrique aujourd'hui [1]" [5] Selon les mots de Skull Face dans la cinématique finale de la mission 6. [6] Comme on l'entend dans la cassette "The White Mamba [2]", l'identité d'Eli passe avant tout par la langue qu'il parle : ce n'est que lorsqu'il se met à parler anglais que Miller peut commencer à deviner son origine. [7] Cassette "Objectif de Skull Face [3]" [8] Cassette "Le Mamba Blanc [2]" [9] Kojima a simplement déclaré au Guardian qu'il voulait « remettre en question la domination des Etats-Unis sur le monde », sans se montrer particulièrement irritable à ce propos. Son engagement dans MGSV est si discret, que la plupart des joueurs et critiques en ont totalement fait abstraction, avec la plus grande facilité. [10] Cassette "Le surnom Shalashaska" : "Ici, c'est notre réalité, qu'elle soit réelle ou non. S'il y a une autre vérité, je ne veux pas la connaître." [11] Il s'agirait d'un des centres d'activité liés à la douleur fantôme. [12] "Non, il ne s'agissait pas du tout d'un langage", dit aussi Quiet. [13] Une rupture qui se termine toutefois sur un geste de gratitude (mutuel ou non, c'est l'affaire de chacun d'entre nous). [14] Cassette "Enregistrement secret de Zero rendant visite à Snake" : "Une pierre tombale ciselée dans le code d'une machine. C'est tout ce que je laisserai comme marque de mon existence." [15] Contrairement aux apparences, ces mots ne viennent pas de MGS2, mais d'un bulletin radio dans P.T. [16] Voir le projet Lingua Franca. Lire la suite : Chapitre 2 : REVENGE
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