L'une des questions la plus souvent posée à Hideo Kojima est de savoir quel pourrait bien être son personnage préféré dans
la saga Metal Gear Solid. Au fil du temps, les réponses du créateur japonais varient inévitablement, de Snake à Otacon, en passant par le Cyborg Ninja.
En ce mois de mars 2014, le site
IGN a posé cette fameuse question à Hideo Kojima, en lui demandant de choisir cinq personnages qu’il affectionne tout particulièrement. Et c’est sans surprise que Snake survole le haut du classement dans lequel Hideo Kojima donnera finalement six noms.
« Snake est présent dans tous les jeux » répond Hideo Kojima. « En réalité, il y a deux Snake bien différents. En plus d’être mon personnage préféré, il est aussi celui qui m’est le plus proche. En incluant toujours Snake dans chaque jeu, son histoire se développe petit à petit au fil du temps. Je fais ce même constat avec moi-même en vieillissant. Le premier Snake était un personnage complètement vierge. Il n’avait aucun antécédent, et au fil de ces vingt dernières années, ce vide s’est comblé petit à petit. Alors, bien que Snake soit un personnage fictif que j’ai créé, je pense qu’il a développé sa propre personnalité, et s’est forgé un vécu. Je conçois également que cela puisse être une réponse ennuyeuse à la question « quel est mon personnage préféré ? ». Se contenter de répondre simplement Snake, serait tout simplement ennuyeux.
La présence d’Otacon est également très importante pour moi. Vous savez, Otacon n’est pas un personnage héroïque. Il ne se bat pas, il n’a aucun courage et il se fait constamment rejeter par les femmes. Mais je pense que c’est pour cela qu’il tient un rôle très important dans la saga MGS. Je pense que la plupart des gens qui jouent à Metal Gear Solid se sentent plus proche d’Otacon. Toutefois, par leurs actions, ils ressentent qu’ils assument le rôle de Snake. Ils terminent différentes missions, et vivent plusieurs moments scénaristiques dans la peau de Snake. En plaçant Otacon entre Snake et le joueur, je pense que cela ajoute beaucoup plus de profondeur au jeu. Voilà pourquoi j’essaie constamment d’inclure Otacon dans les jeux, en lui donnant une part importante dans l’histoire.
Pour ce qui est de MGS1, je dirais Raven. Je l’aime beaucoup. En plus d’aimer le personnage, je trouve que le combat contre lui était particulièrement savoureux. Je l’ai trouvé très divertissant. J’ai aimé le résultat final. De plus, quand Raven est vaincu par Snake, il ne s’agenouille jamais. Il meurt debout. C’est sa personnalité, je crois, qui lui a donné beaucoup de charisme. Donc oui, c’est un personnage que j’ai beaucoup apprécié.
Toujours dans MGS1, les boss qui apparaissaient successivement étaient toujours plus forts que les précédents. Des boss de plus en plus puissants continuent donc d’apparaître, jusqu’à ce que ce personnage, très maigrichon, d’apparence sadomasochiste, fasse son apparition : Psycho Mantis. Le joueur se demandait alors si celui-ci serait plus fort que les derniers boss. Puis ils réalisaient qu’il possédait des pouvoirs psychiques, et que c’était ça qui faisait sa force. En progressant vers des personnages de plus en plus forts, pour finalement se retrouver face à ce personnage aux pouvoirs télépathiques, j’ai trouvé ça assez intéressant. J’aime un bon nombre de ces personnages, et quand je travaille sur un nouveau jeu, j’essaye toujours de trouver quelque chose qui puisse transcender ce personnage.
Quand je crée un personnage, je garde toujours à l’esprit que ce dernier est conçu pour un jeu. Je réfléchis beaucoup sur les types d’attaques qu’il pourra effectuer, sur la façon dont le joueur va pouvoir les éviter et sur les attaques du joueur qui pourront atteindre ce boss. Avec ces éléments fondamentaux du game design, je me demande comment ce personnage s’intégrera à l’histoire. Quel type de corps il devrait avoir ? Quel serait sa race, sa taille, son passé scénaristique, etc. ? Les deux choses les plus importantes sont de définir la façon dont le personnage va s’adapter au game design et la manière dont il s’accordera avec l’histoire. Je pense que c’est la différence fondamentale par rapport au cinéma.
Dans Metal Gear Solid 3, nous avions ce sniper légendaire nommé The End. Il avait plus de cent ans. Il pouvait survivre une à deux semaines sans manger ni boire. C’était vraiment une légende dans son genre. Pour être honnête, j’ai voulu que cette bataille dure une semaine voir même deux, tandis que le joueur devait lentement prendre l’avantage pour enfin descendre The End. C’est de cette manière que j’avais pensé ce personnage au départ. Mais quand nous avons fait des tests, mon équipe m’a dit que c’était impossible et que ce n’était pas conseillé. J’ai donc modifié cette bataille en celle que vous connaissez aujourd’hui [ndlr: Néanmoins cette idée n’a pas complètement disparu du jeu. Il est possible dans MGS3 de battre The End en sauvegardant lors de l’affrontement, puis charger sa partie une semaine plus tard pour trouver son cadavre sans vie, à la grande déception de Snake qui préférait le battre à la loyale. Les plus malins avanceront simplement l’horloge de la console d’une semaine.] Mais The End était vraiment un sniper de légende. C’est pourquoi, je voulais vraiment un combat de sniper réaliste qui s’étendrait sur plusieurs semaines, où le joueur affaiblirait son adversaire petit à petit. Une longue bataille tactique. Mais parfois, ce genre d’idée n’est pas toujours possible pour un jeu.
Toujours dans MGS3, il y a The Sorrow. Le combat contre lui était vraiment différent des autres combats de boss que j’ai essayé de faire jusque là. The Sorrow avait cette sorte de sixième sens qui ferait que les joueurs le considéraient instinctivement comme étant un ennemi. Mais c’est un boss qui n’existe pas. C’est un fantôme. C’était vraiment quelque chose de très différent que j’avais fait jusqu’alors. Ce qu’il se passa au bout du compte, c’est que Snake eût cette expérience de mort imminente pendant qu’il se battait contre The Sorrow. Et le joueur se rendait alors compte qu’une arme ne servait à rien contre lui, pas plus que de l’affronter directement. Il suffisait tout simplement de ramener Snake à la vie. Voilà comment il fallait battre The Sorrow. C’était quelque chose de très unique, quelque chose de nouveau que je voulais essayer. C’est un autre personnage que j’apprécie beaucoup. »
IGN